Once Upon a Time in… Hollywood : Il était une fois Tarantino

Brad décaPittable
Ouais bon ça va Brad, on sait que t’es beau gosse, pas besoin d’en faire trop non plus hein. #jalousie

Tarantino est indéniablement un cinéaste talentueux. Un réalisateur avec une vraie personnalité, une patte, et qui plus est très populaire. Il est en effet l’un des seuls aujourd’hui à réussir à ameuter des masses de spectateurs dans les salles (et dans une bonne partie du monde) à chaque nouveau film, sur une histoire originale et pas issue d’un comics, d’une franchise ou d’une série de romans pour ados à succès. Et dans un environnement cinématographique envahi par les Marvel ou les Star Wars, un peu de fraîcheur – et même, dans le fond, de classicisme – fait un bien fou. Chaque nouveau Tarantino est un événement en soi. En faisant un film à la fois, à peu près tous les trois ans, il sait jouer sur l’attente de ses groupies.

Et pourtant, je n’ai pour ma part jamais été un grand fan de ce brave (mais bizarre hein, on est d’accord ?) QT. Sans savoir trop l’expliquer, son style, en face de celui d’un Spielberg, d’un Scorsese ou d’un Fincher par exemple, ne m’a jamais particulièrement ému. J’apprécie son dynamisme et son talent de dialoguiste notamment, mais l’aspect parfois foutraque et l’ultra-violence de ses films me débranchent un peu. On ne peut en revanche lui nier son profond amour pour le cinéma (souvent le cinéma « bis », l’alternatif ou la série B), et Tarantino ne cesse de le déclamer à chaque film. Qu’il soit élément moteur de l’histoire (Inglorious Basterds) ou bien qu’il inonde chaque plan (la saga Kill Bill), cet amour-là se ressent profondément. Et quand il s’approprie de nouveaux genres, c’est autant pour les dynamiter que pour rendre hommage aux œuvres qui l’ont marqué plus tôt. Au-delà d’être un faiseur de films très doué, il est un grand cinéphile. Il aime par exemple donner chaque année la liste de ses films favoris.

Après le film de gangster, le film d’arts martiaux, le film de guerre et le western, QT passe donc avec Once Upon a Time in… Hollywood au film… eh bien… au film sur le cinéma en fait, c’est pas plus bête que ça. L’occasion pour lui de clamer encore plus haut son amour de l’art, de ceux qui le font, mais aussi d’une époque.

Il choisit donc de raconter les élucubrations de Rick Dalton (DiCaprio), ancienne gloire passée has-been, et de son cascadeur/chauffeur/ami Cliff Booth (Pitt) dans le Los Angeles en pleine mutation de 1969.

Globalement, je n’ai pas forcément besoin d’en dire plus sur l’histoire car ça résume assez facilement mais efficacement le film, qui n’avance jamais vraiment.

Parlons peu parlons bien, si le film est un événement total à sa sortie, ce n’est pas seulement grâce à Tarantino mais aussi à son casting absolument dément. Les deux plus grandes stars du XXIème siècle réunies (Leonardo et Brad), entourés par la belle Margot Robbie et de géants comme Al Pacino ou Kurt Russel. C’est du très lourd sur l’affiche. Mais c’est aussi parfaitement excitant car ces gens-là sont tout à fait talentueux, et le montrent sans problème. Si DiCaprio ne prouve rien de plus que ce qu’on connaît déjà de lui depuis quelque temps maintenant (il est très bon dans son rôle de composition d’acteur has-been, déprimé de vivre avec sa gloire derrière lui), c’est surtout Brad Pitt qui sort du lot, en démontrant une fois pour toutes (s’il le fallait) qu’il est un excellent acteur, en plus d’entériner sa stature d’icône. Il est tout simplement sublime en « second couteau » qui vit de, par et pour l’acteur qu’il soutient. Il est au sommet de sa coolitude et campe un superbe personnage anti-tarantinien : calme, seul, et profondément gentil. Il est vraiment la star du film et vole chacune des scènes où il apparaît, déstabilisant de désinvolture.

Plus globalement, ce qui attire dans Once Upon a Time in… Hollywood, c’est son propos qui s’inscrit dans un contexte spatio-temporel marquant : celui de la Californie de 1969, qui va créer une vraie rupture entre deux époques et entre deux générations. 1969, c’est la fin d’un cinéma devenu classique auquel les gloires vieillissantes cherchent à toujours à s’accrocher, et le début d’un Nouvel Hollywood porté par une jeunesse au ton résolument différent et attachée à une certaine idée de la liberté. Once Upon a Time in… Hollywood est avant tout un film sur cette période charnière plus qu’une histoire classique. C’est en ce sens désarmant : lui qui nous avait habitué à de la surenchère, à du rythme, à des dialogues qui ne s’arrêtent jamais nous livre alors une œuvre beaucoup plus solennelle. Presque crépusculaire. Ca s’accorde en somme bien avec l’état d’esprit des deux personnages principaux que l’on suit et qui sont face à un changement de paradigme, subissant une transformation radicale de leur monde terrassé par une jeunesse qui veut rompre avec les codes de papa et maman. Une rupture symbolisée par la culture hippie, que Rick Dalton, du coup, « déteste », lui qui fut jadis une célébrité adorée et aujourd’hui un loser presque oublié.

Rick et Cliff ne sont par conséquent pas les moteurs du film. Attachés à leur ancien monde, ils subissent l’arrivée de cette nouvelle génération et c’est cette dernière qui leur impose d’avancer et de voir autrement. Du coup, il ne faut pas compter sur eux pour développer une certaine histoire, qui n’a pas vraiment de dénouement. Once Upon a Time in… Hollywood ne semble pas être un film classique, avec un début, un milieu et une fin en cohésion. C’est un peu déroutant et parfois ennuyeux, car on ne sait jamais si les plusieurs trames parallèles vont un moment se réunir et si tout nous paraîtra plus clair. Mais ça n’arrive, finalement, jamais. On dirait une succession de scènes collées entre elles, unitairement tout à fait brillantes mais sans lien évident, sans trame développée clairement pour toutes les faire tenir entre elles et qui nous intéresserait à la suivante. Alors, c’est très beau (la balade de Brad Pitt sur les routes de LA la nuit), c’est très drôle (un flashback déjà culte sur la rencontre entre Cliff et Bruce Lee), c’est touchant (Rick qui se prend un cours de comédie par une fillette) et c’est parfois tendu (Cliff découvrant la « Famille » de Charles Manson), mais l’ensemble manque de cohérence, même si le personnage de Cliff semble être l’unique chaînon narratif. C’est en effet par lui que l’on avance dans la découverte de l’époque, par sa rencontre avec les hippies, ses difficultés personnelles et professionnelles, sa prise de drogue, etc.

Once Upon a Time in… Hollywood est donc clairement un film construit dans une époque précise. C’est intéressant sur le fond, mais c’est aussi là que le bât blesse. L’une des pattes de Tarantino, par son amour obsessionnel du cinéma, est bien entendu l’ultra-référence. Parfois discrète, souvent évidente, cette dernière est ici élevée à son paroxysme. Que ce soit par le parcours de véritables stars d’Hollywood qui ont inspiré les personnages de Cliff et Rick, par les apparitions de quelques icônes de l’époque (Steve McQueen, Bruce Lee, Roman Polanski…) ou par les multiples clins d’œil à de sombres et oubliés séries et films des années 60, Tarantino accumule les références plus ou moins subtiles. Clairement, le Quentin s’est fait plaisir. Il a mis dans ce film tout ce qu’il pouvait, tout ce qu’il aimait, tout ce qui l’inspirait. Sans vraiment s’intéresser au spectateur lui-même qui, s’il n’a pas la culture du réalisateur, risque de se sentir largué, voire de décrocher.

En fait, sans un minimum de connaissance sur le sujet et sur l’Histoire des années 60/70 aux Etats-Unis, il est bien difficile d’y comprendre grand chose (je pense au spectateur français lambda hein. Moi je n’ai eu aucun problème, j’ai une culture générale phénoménale). C’est même tout un pan du film qui en pâtît émotionnellement. En ne connaissant rien sur la vraie vie de Sharon Tate, comment s’intéresser à elle, s’inquiéter pour son destin, s’attendrir pour elle (malgré la bonne volonté de Margot Robbie, tout en naïveté et en innocence) ? Sans connaître l’horreur des méfaits de Charles Manson, comment ressentir de la tension lors de ses 10 secondes d’apparition ou lorsque Cliff pénètre le ranch de sa « Famille » ? Il était excitant de voir comment Tarantino s’attaquerait à l’affaire Manson. Sans cesse, il ne fait que l’effleurer. Et même, il corrige l’Histoire ! Comme dans Inglorious Basterds, le cinéma est son arme (au sens propre comme au sens figuré). Autrefois, c’est dans une salle de projection que les rebelles butaient Hitler et ses nazis. Aujourd’hui, ce sont les acteurs losers qui défoncent les sbires de Manson (dans une séquence tarantinesque à l’extrême, ultra-violente et, aussi, ultra-tripante : la seule démonstration d’énergie du film, totalement inattendue). Tarantino, plutôt que d’exposer explicitement les faits historiques, les tord pour son plaisir, dans le seul but d’en ridiculiser les auteurs et de faire gagner, à la fin, ses personnages et le cinéma. C’est son parti-pris. Peut-être qu’un happy end, réunissant dans la dernière scène la nouvelle génération (Tate et Polanski) et l’ancienne (Rick et Cliff), lui permet de fantasmer l’Histoire d’un cinéma qu’il aurait aimé, ou du moins la résurrection de celui qui l’anime, incarné par les deux personnages principaux.

Il en ressort à la fin que Tarantino semble s’être fait un film pour lui. Ce film, c’est un vrai voyage à travers son imaginaire et à travers lui-même, et tant pis si le spectateur est laissé sur le côté. Intéressant mais assez foutraque, brillant mais trop segmenté, Once Upon a Time in… Hollywood manque d’un récit clair pour vraiment convaincre qu’il n’est pas juste un « film à sketchs », une succession de scènes (dont la plupart va clairement devenir anthologique, et ça c’est quand même très fort).

QT a dit qu’il lui restait un ultime film à réaliser avant de prendre sa retraire. Ce pénultième a montré une nouvelle facette du gars, en étant probablement le film le plus émouvant qu’il ait eu à livrer jusque-là. A voir ce qu’il a encore sous le capot pour nous surprendre, ou non…

Tendrement,

L’Halluciné

 

PS : Les gars de Sony sont vraiment à côté de la plaque. Les distributeurs font souvent n’importe quoi avec les titres de film étrangers : ils peuvent les conserver tels quels pour le marché français, ou bien les traduire approximativement, ou alors les massacrer, ou les changer par un autre titre en anglais (!), mais plus facile à prononcer pour nous petits Frenchies qui avons eu des notes pourries en langues à l’école. Mais pour le nouveau Tarantino, pas d’option ! Ils n’avaient objectivement pas d’autre choix que de traduire littéralement le « Once Upon a Time », qui s’inscrivait justement dans la tradition des grandes épopées de Sergio Leone ou de Tsui Hark. C’est clair et évident, et Sony se devait de présenter aux francophones le film comme « Il Etait une Fois à Hollywood », vu que ses prédécesseurs auxquels il rend hommage furent eux traduits, ça tombe sous le sens. Mais Sony ne connaît pas le sens et préfère dénaturer le film lui-même en conservant son titre d’origine en France. Ils ont décidément tout raté.

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